Ça y est, elle était là, devant moi, non ce n'était pas une illusion comme je pouvais le devenir. C'était elle, ma surdouée, ma scientifique, ma... Bref, elle ne m'appartenait pas, et j'en étais conscient. Seulement, rien qu'en y pensant, je serais jaloux de savoir qu'elle s'intéresserait à quelqu'un autre. Oui, c'était mal, c'était mal d'être possessif, seulement, elle avait occupé mes pensées, oui, je m'étais inquiété pour elle. Je m'étais rongé les sangs, ignorant si elle était vivante, morte, agonisante. Je m'étais demandé, si elle prenait soin d'elle, ou si elle s'était laissée aller dans des expériences, dangereuses. Elle n'avait pas trop changé depuis notre dernière rencontre, peut-être légèrement fatiguée. Par contre, moi j'avais changé, et je doute qu'elle ne le remarque pas. Mon apparence soudaine, fatiguée, éreintée, rappelait bien que j'entrais bientôt dans ma huitième année et que non, je n'étais pas inépuisable. Certes, j'avais encore des années devant moi, mais le simple fait de la voir me donnait une seconde jeunesse que je croyais derrière moi. ... Je ne connaissais même pas son nom, et pourtant, cette louve devant moi, était devenue une sorte de drogue. J'ignorais comment elle avait fait pour me retrouver alors que je m'entraînais sur les terres de nos chers alliés Devil. Mais l'important, c'était qu'elle soit là.
Je posai mes yeux azurs, d'un bleu pâle délicat, dans le regard sombre de la Sakarite. Au début, rien ne se passa, puis bientôt un sourire étira mes traits. Mon coeur fit un bond dans ma poitrine, ma gorge se serra, me donnant l'impression de ne plus pouvoir respirer. Non, ce n'était pas un rêve, éternel fuyard, disparaissant au réveil. Pendant un instant, je crus oublier tous les problèmes que j'avais rencontrés ces dernières semaines, me faisant renaître. La louve brune sourit, elle aussi, et sa voix résonna, douce mélodie qui allumait une nouvelle lueur en moi. Un nouveau flambeau, qui avait longtemps resté éteint, je croyais que cette flamme serait restée à jamais morte, inactive. Je ressentais autre chose pour elle, autre chose qu'une simple amitié, et je doute que j'en fus moi-même conscient.

Mais soudain, la joie que j'avais éprouvée quelques instants auparavant disparut. "C'est difficile, n'est-ce pas ?". Je fronçai les sourcils. Mais où diable voulait-elle en venir ? Il ne me fallut que quelques instants pour que je comprenne, et que mon sourire s'efface, comme voilé par un orage qui se voulait tornade. Non, manifestement elle ne l'avait pas oubliée, et peut-être que si j'avais fait un effort pour paraître moins faible et vulnérable, elle l'aurait oubliée, et ce serait penchée sur moi, et moi seul, et non sur elle. Ma gorge se serra de nouveau, m'empêchant carrément de respirer. Colère et culpabilité se faisaient ressentir en moi. Quel idiot j'avais été ! Voilà qu'elle se rapprochait de moi, semblait l'oublier, et j'allais tout gâcher !
Je baissai la tête, incapable d'affronter son regard sombre, et je fermai mes propres yeux. Je n'étais plus un gamin. J'étais capable de m'excuser sans m'enfuir, bien que la fuite, aussi séduisante soit-elle, n'était pas une option, pas avec cette louve que j'affectionnais. Des tas de souvenirs m'assaillirent, la haine qu'éprouvait mon père à mon égard, la naïveté de ma mère, qui n'a pas réussi à me comprendre, à comprendre que mon père me détestait et n'avait qu'un seul souhait : ma mort. Elle avait été lâche, comme mon père. Mais non, je n'étais pas comme eux. Je pouvais avouer mes faiblesses et mes sentiments. Plein de loups en étaient capables alors, pourquoi pas moi ? J'avais peur, peur de la perdre, et j'écoutais ses paroles dures dans un silence absolu. Elle avait raison. J'avais échoué, je m'étais laissé dominer par un simple collier. Mais il n'était pas trop tard. L'entraînement des Porteurs des Runes allait bientôt débuter. Soudain, une voix résonna en moi... : "FAIS QUELQUE CHOSE, OU TU VAS LA PERDRE !". Je laissai échapper un grognement destiné à mon gardien. Ce n'était pas le moment. J'étais assez grand pour savoir que je risquais de ne plus jamais la revoir si je restais là, idiot, à ne pas agir. Mais alors, pourquoi n'avais toujours pas parlé ? Et les mots de la Sakarite claquèrent comme un coup de tonnerre. "Moi, c'est ce que je vois devant moi. Quelqu'un qui est tombé. Je..." Elle sembla hésiter, puis ajouta : "... Je suis désolée." Je déglutis difficilement et tentais de calmer mon coeur qui criait de douleur. Je relevai ma tête argentée, sans toute fois la regarder dans les yeux. Que dire ? Que faire ? Je me sentis soudain seul, sans défense, mais je refusais de faire appel à ma Rune pour me guider. Je ne devais pas choisir la facilité. Il était temps de me justifier.

" Non, c'est moi qui suis désolé. "

Mon visage était toujours orienté vers le sol, mais je pris une profonde inspiration avant de fermer les yeux, comme blessé par les mots de la louve au pelage brun. Oui, au fond, ils m'avaient blessé, avaient résonné en moi comme un grondement de tonnerre, fissuré mon coeur en un éclair, foudroyant et paralysant. Je me sentais bête, lâche, mais quelque chose, ce sentiment qui avait ravivé cette flamme ternie par la cendre qui la recouvrait, me poussa à continuer :

" J'ai chuté, je me suis laissé dominer par un vulgaire morceau de cuir. "

Soudain, j'ouvris les yeux, une flamme féroce les faisant briller, et je repris d'un ton rempli de colère :

" N'est-ce pas misérable ? Être l'esclave d'un morceau de cuir ? Non, tais-toi, je sais ce que tu en penses ! Malgré tes excuses, tu me trouves idiot et sans défense, comme un aveugle qui essaierait de se déplacer sans canne ! Je sais, j'ai échoué ! J'ai accepté cette Rune sans broncher, alors que l'on m'avait alerté de ses effets sur la personnalité d'un loup. Je savais que je changerai, au fil du temps, mais j'ai accepté, parce qu'elle me rendait puissant, elle me rendait ma jeunesse volée et perdue au fin fond de moi. "

Mon ton était de plus en plus triste et honteux.

" J'ai pensé que je pourrai de nouveau être celui que j'ai toujours rêvé être, un loup brave et vaillant, ses deux âmes en harmonie, ne faisant qu'un avec sa Rune. Mais au contraire, elle a failli me détruire ! "

Je relevai enfin la tête, plongeant mon regard azur dans ses beaux yeux sombres.

" J'ai fait des erreurs, de nombreuses erreurs. J'ai méprisé ma mère, je l'ai abandonnée parce qu'elle n'a pas été en mesure de me comprendre. J'ai tué mon père par accident, même si celui-ci me haïssait, mais je n'ai jamais souhaité sa mort. Mais tout cela n'est rien, comparé à ce que je viens de faire. J'ai commis la plus grosse des erreurs de toute ma vie, aujourd'hui, en te blessant, en te faisant croire que je pouvais me relever sans blessures, que j'étais intouchable alors que c'était faux. "

Je laissai échapper un léger tremblement.

" Je suis désolé. Je n'ai pas voulu te décevoir, et je ressens autre chose pour toi, et je viens de le comprendre, maintenant. J'ai chuté, mais je peux me relever, et tu es la seule personne qui puisse me faire envisager un tel exploit, sans que tu ne le saches. J'ai... j'ai besoin de toi. "

Je baissai les yeux, tremblant d'émotion. J'avais toujours entouré mon coeur de cadenas, empêchant ce fameux sentiment de m'atteindre, mais c'était la louve qui avait réussi à trouver toutes les clefs.