Abelforth était assis sur le sable.
Il regardait l'île avec attention, comme si, à défaut de son corps encore trop frêle pour supporter la traversée, son esprit aurait pu par sa simple volonté le transporter dessus.
Mais il avait beau fixer, fixer, fixer... Rien n'y faisait.
Son petit postérieur demeurait toujours posé dans le sable chaud et fin de la plage, ses pattes avant fermement campées sur un petit rocher plat qui reposait devant lui.
Un coup de vent ébouriffa son poil clair, encore tout doux et épais à cause de la petite couche de duvet qui, bientôt, ferait place à un pelage plus rêche.
Le louveteau éternua.
L'air salé en plein dans le museau, c'était agaçant !
Trop exposé, Al' décida de grimper sur le rocher plat, avec l'idée de s'y rouler en boule, le museau protégé par sa minuscule queue qui frétillait tout le temps.
Mais il renonça en sentant la rocher brûlante sous ses coussinets, préférant de loin retourner dans le sable, moins chaud.
Il finit même par s'aventurer au bord de l'eau.
Mais à l'instant même où une vague curieuse, à la grande surprise du petiot, vint toucher le bout de ses pattes, Abelforth décida de s'éloigner de ce monstre froid et vicieux.
En plus, le sel piquait les petites plaies qu'il avait, souvenir de la veille : il avait mené une grande expédition dans la ofrêt, qui s'était achevée dans un buisson de mûres.
Que c'est bon, les mûres !
Mais tout le monde sait qu'elles poussent sur des ronces.
Tout le monde... sauf un petit louveteau !
Il y en a des choses à apprendre.
Une chose est sûre : on ne l'y reprendra plus.
La douleur a l'incroyable efficacité de marquer certains souvenirs piquants dans les esprits têtus de ces petites boules de poils.
D'ailleurs, le plaisir des mûres, même quand on ne se griffait pas, était toujours terni par ce qui s'en suivait : le nettoyage.
C'était au-to-ma-tique !
Après chaque petit goûter, maman voulait ABSOLUMENT le secouer de grands coups de langue.
Et elle avait le don pour les repérer, les petits goûters.
Abel' n'avait toujours pas compris comment.
Il n'avait toujours pas compris que le jus de mûre, ça tachait.
Ni que les fourrures claires étaient particulièrement salissantes...

Le louveteau, lui, la remarqua tres vite.
A vrai dire, il commencait a s'ennuyer, tout seul.
Il s'appretait a courir vers la femelle lorsqu'il la vit se rapprocher de l'eau.
Alors le louveteau hesita et regarda la louve d'un air ecoeure.
Puis il finit par s'approcher doucement, et s'arreta a une distance respecteuse de la mer.

- Euh... Coucou. -

Il tenta un sourire enjoue.
L'eau semblait ne pas approcher.
Il alla meme jusqu'a s'asseoir.

- J'm'appelle Abelforth. Et toi ? -

Assez confiant, Al' etait de ces louveteaux qui ne vouvoyent pas beaucoup.
Juste les Anciens, ceux dont il fallait s'occuper et qui racontaient des vieilles legendes.
Mais elle, elle avait l'air jeune.

Le louveteau eut un sourire ravi.

- C'est joli, Miss' ! Ca te va tres bien. -

Il la regarda un peu, tous sourires.
Le petit louveteau etait heureux d'avoir de la compagnie.
Au bout d'un moment, il precisa :

- C'est pas tres facile, Abelforth. Mes freres m'appellent plus souvent Abel' ou meme Al'. -

Soudain, un petit rictus se logea sur son visage et le louveteau se cambra pour aller se gratter derriere l'oreille avec la patte arriere.

Le louveteau reposa sa patte au sol et s'ebroua avec un petit soupir de bien-etre.
Puis il regarda la louve et bomba legerement le torse.

- J'apprends le Monde ! -

Ca ne voulait iren dire, mais aux yeux du louveteau, cela avait beaucoup de sens.
C'etait comme ca qu'il disait "decouvrir", "partir a l'aventure"...

- Et puis ma famille elle est pas loin. Maman dit que je peux me promener si je fais pas de betises, que je fais attention et que je reste sur notre territoire. Elle veut pas encore que je quitte Paradise... Elle dit que je suis trop petit. Et elle peur de si j'allais me battre contre un Devil. Moi, je sais que je pourrais. Mais pour pas que maman ait peur, j'attends d'etre grand. C'est pas dans longtemps, maman m'a dit. -

Mais comme bon nombre de louveteaux, Abelforth etait impatient et ambitieux.
Il la regarda avec des yeux petillants.

- Moi, quand je serai grand, je serai le meilleur ! Tout le monde me respectera. -

Il sourit, tres satisfait.
Al' avait tendance a oublier la modestie de temps a autres...
Il confia, avec un regard plein de fierte :

- Je serai un grand guerrier, comem mon papa et ma maman ! -

Comme s'il n'attendait que ca, le louveteau trepignait sur place.
D'un air tres fier, il se ofrca a attendre encore un tout petit instant...
Mais il finit paro uvrir grand la gueule pour prononcer ces noms dont il etait si fier.

- Ma maman c'est Soleil-noir, une grande guerriere Angel. Elle s'est battue contre l'ancien Dominant des Devils, mais maintenant lele est guerie, et elle est super forte ! Et mon pere, c'est Black Strong, le chef male des guerriers ! -

Pourquoi preciser les meutes ?
Angel, bien sur !

Le louveteau la regarda rire, quelque peu vexé.
Il s'apprêtait à répliquer avec humeur que ses parents n'étaient pas des loups dont on se moquait, lorsqu'elle s'expliqua.
Quand la louve lui eut parlé de sa grand-mère, Abelforth ouvrit de grands yeux surpris.
Un large sourire étira ses babines, dévoilant de petits crocs blancs.

- Alors t'es ma tante ? -

Il éprouvait manifestement une grande joie à cette idée.
Et, comme si cel ien de parenté l'avait soudain rendue encore plus intéressante, le louveteau se mit à la arder de questions.

- T'as l'âge de maman ? Tu la connais bien ? J'ai beaucoup d'autres tantes ? Et des oncles ? T'es dans quelle meute, déjà ? T'as un psote important ? Tu sais chasser ? Moi je commence, j'attrape des mulots... Si tu sais, tu m'apprendras ? T'as beaucoup voyagé, t'as bien appris le monde ? T'as des enfants ? Tu as un amoureux ? Dis, tu me montreras comment tu chasses ? -

Et c'était un flot discontinu, toujours d'autres questions, encore et encore.
Quand enfin il sembla avoir épuisé son stock, le louveteau s'arrêta, haletant, et pencha la tête sur le côté avec un grand sourire, certainement dans l'attente d'une foule de réponses !

Ca alors, quelle veine !
Avoir une solitaire pour tante, c'etait super, non ?
Les solitaires, ils savent toujours plein de choses, lui avait dit sa maman.
Ils ne se preoccupent pas de faire la guerre, mais avant tout de... comment elle avait dit ?
Il ne savait plus, mais ca voulait dire "apprendre le monde".
Le loupiot adressa un sourire rayonnant a la louve.

- Ouah, c'est genial ! -

Soudain, ses oreilles fremirent.
Une voix rauque se fit entendre et le petit bondit sur ses pattes.

- Ah, desole, papa m'appelle... -

Il se retourna et fit quelques pas.

- Merci pour tout, on se reverra bientot, hein ? -

Et, a ces mots, il s'enfuit.