Il fait super bon, ici. Je sens le froid qui s'insinue dans mon corps. C'est le plus fidèle ami et le meilleur allié que l'on puisse trouver. Il ne trahit jamais, il est toujours lui-même, il ne change pas. Eternel dans sa solitude glacée. Je suis chez moi...

Fenrir n'était véritablement à l'aise que lorsqu'il faisait froid, ou tout du moins assez frais. Pendant très longtemps, il n'avait connu que ce froid du Nord, ce froid impitoyable qui brise tous ceux qui osent l'affronter. Il était né dans le blizzard. Il n'avait rien à lui cacher et celui-ci n'avait pas de secrets pour lui. Rien n'était plus fidèle que ce froid, que ce vent, que toute cette neige glacée et cet hiver infini. Oui, le loup gris-argent était chez lui.. Il était à la fois maître et serviteur, roi et monture tour à tour. Il jouait avec le vent, cavalait avec la neige, courait aux côtés du froid, contre tout et personne, comme un seul être hors du temps et de l'espace. Quelles sensations ennivrantes, que de courir à tombeau ouvert dans la neige, au beau milieu des vents déchaînés et des éclats de glace. Quelle ivresse de galoper entre les rochers, vite, vite, toujours plus vite, au risque de se casser le cou. Le danger était omniprésent, la moindre chute était fatale, le plus petit écart mortel. Et pourtant, l'idée même qu'il puisse se faire mal était risible. Totalement ridicule. N'était-il pas chez lui ?

Le loup gris-argent s'arrêta dans un nuage de neige et de glace, après une descente vertigineuse qui s'était soldée par un atterissage brutal. Fenrir haletait, la langue pendante. Son souffle se mêlait aux brumes du vent, était entraîné en savantes spirales vers les cieux tourmentés. Il ne faisait qu'un avec la nature sauvage de ce lieu.

Peu à peu, tandis que l'euphorie de la course retombait, le mâle reprenait haleine. Ses muscles chassaient les toxines de leurs fibres, et l'air glacé du nord revigorait son organisme, un peu comme un coup de fouet brutal mais bienfaisant. Fenrir était en pleine forme, galvanisé par l'effort qu'il venait de faire. Le givre piquetait sa fourrure de blanc. Comme pour tout le monde, le froid intense lui faisait mal, mais c'était une douleur qu'il acceptait au lieu de rejeter. Elle était lui, pourquoi est-ce qu'elle le gênerait ? Tout comme le vent et le froid, elle était son amie et son alliée. Sa partenaire de jeu et son appui le plus sûr, car rien de la changerait... Une nouvelle odeur attira l'attention du mâle. C'était indéniablement celle d'une louve, mais il n'arrivait pas à reconnaître sa Meute. Beuh... C'était pas drôle. Elle était peut-être solitaire ? Oui, Odin lui en avait parlé.. Ne pas faire partie d'une Meute, mais ça voulait aussi dire ne pas avoir de partenaires de jeux et surtout personne pour se faire tabasser mutuellement. Fenrir ne comprenait pas comment on pouvait choisir une vie pareille. Enfin.. le loup dégringola encore quelques mètres, avant de se retrouver pratiquement nez à nez avec la louve.

- Coucou ! dit-il d'une voix enjouée.

Il ne lui vint même pas à l'idée qu'elle pouvait avoir froid. Ou plutôt, qu'avoir froid lui faisait du mal. Sur bien des choses, Fenrir était encore un gamin. C'était une chose que les années ne changeraient pas, mais il y a des fois où ça peut vraiment être embêtant, tout de même. Pour lui, avoir froid, c'était plutôt positif.

Tiens, c'est bizarre, elle n'a pas l'air super enchantée de me voir.. C'est parce qu'elle veut être seule ? J'ai entendu dire que ça arrivait quelques fois... Bah, c'est pas grave, si elle a envie d'être seule elle n'aura qu'à me le dire.

Du point de vue de Fenrir, bondir au nez des gens en les prenant par surprise n'est pas une raison pour être irrité. Au contraire, c'est un excellent prétexte our sauter sur l'arrivant et entamer une furieuse partie de bastonnage, ce qui est follement amusant. Le loup gris-argent ne pensait pas non plus que la plupart des loups ne disaient pas à leur interlocuteur de purement et simplement dégager lorsqu'ils veulent être seuls.

- Qui es-tu ? demanda-t-il d'une voix enjouée, assez étrange car il s'y mêlait la simple joie enfantine et la maturité des adultes - en proportions moins élevées.

Fenrir tutoyait pratiquement toutes les personnes qu'il rencontrait. Non, il tutoyait tout le monde en fait. Pas parce qu'il s'estimait supérieur à tout le monde, c'était une pensée trop mesquine pour que ce grand gamin puisse l'avoir. Simplement parce qu'il était naturellement direct, parfois trop, et que placer une barrière avec un "vous" n'était pas son genre. Le jour où vous l'entendrez vouvoyer une personne, marquez ce jour d'une pierre blanche et vérifiez s'il n'est pas gravement malade.

Franchement, ils ont tous de super noms sur terre... Comparé à la majorité des noms sur Walhalla, le mien est presque original. On croise plus de Graok, de Temkor qu'autre chose... Every Day, Shadow Night.. Eux au moins, ils ont des noms à sonorité fluide et mélodieuse !

Fenrir se maintenait tout de même dans une drôle de position. Ses pattes antérieures étaient légèrement écartées et avancées par rapport au reste de son corps, ce qui abaissait son avant-main. La queue dressée, légèrement agitée d'aller-retours très secs et si infimes qu'il étaient presque imperceptible, les yeux brillants, les oreilles pointées vers l'avant et la gueule ouverte dans une sorte de sourire. Observez un jeune loup lorsqu'il en invite un autre à jouer : c'était à peu près dans cette posture que Fenrir était, en un peu moins prononcé. Cela ne cadrait pas du tout - mais alors pas du tout - avec sa grande taille et sa puissante musculature.

- Fenrir, répondit-il avec entrain. Tu es une solitaire, n'est-ce pas ? Sans attendre la réponse, il enchaîna. Comment peux-tu vivre toute seule ? Quand tu es blessée ou que tu es fatiguée, comment tu fais pour manger ? Et tu dors où ? La compagnie des autres ne te manque pas ?

Bon, d'accord, là Fenrir était un peu assomant avec toutes ces questions, surtout qu'elles pouvaient être gênantes. Il était direct, trop direct peut-être, comme un enfant qui veut savoir des choses et qui questionne les gens sans la moindre gêne, même sur des sujets délicats. Le loup gris-argent n'attendait même pas la réponse à ses questions, il enchaînait tout et puis à elle de se débrouiller, en quelque sorte. Mais pour lui qui avait toujous vécu entouré de la compagnie omniprésente de ses frères, de ses soeurs, de ses cousins, des tantes, des oncles et tout le tintouin, une vie de solitaire semblait vraiment stupéfiante.

L'ambiance se dégèle un petit peu, on dirait. Tiens ! Mouahaha, se dégèle, que c'est drôle. Non ? Vous ne trouvez pas ? Ok, je sais, mon sens de l'humour est un peu étrange, mais vous pourriez faire semblant de trouver ça drôle, tout de même.

La tempête faisait toujours rage, au plus grand bonheur de Fenrir. Après tout, il était encore plus son élément dans la tempête glacée que dans le froid simple. Il adorait le froid, ne faisait qu'un avec celui-ci, mais son énergie bouillonante l'apparantait aussi beaucoup à ces tempêtes spectaculaires qui sévissaient sur le Nord. Il s'y sentait encore plus à l'aise, flamme de vie bondissant au rythme de vent, pétale de givre filant sans fin au coeur des tourbillons glacés. Oh ! Que c'était agréable, revigorant. Heureux, le loup gris-argent pensait qu'Every Day était dans le même cas que lui. Il était loin de se douter que le froid la gênait, mais s'il l'avait su, il lui aurait certainement proposé de trouver un coin plus chaud et abrité du vent. Même si c'est un grand gamin, il a tout de même quelques bonnes manières. ^^

- Bah, quand on est Celestial on peut aussi aller partout, et puis on peut rencontrer qui on veut sans se faire attaquer, à part par ceux qui cherchent des noises ! Fenrir était vraiment intrigué par ces loups qui choisissaient d'être solitaires, mais c'était plutôt un intérêt poli, purement dans le but de savoir. Dans une Meute, on est super libre aussi ! Et quand on a des problèmes, iul y a toujours quelqu'un pour vous aider... Le loup secoua légèrement la tête. Je ne comprends pas pourquoi on peut choisir d'être solitaire, quand il y a tant à gagner à être dans une Meute. Est-ce que tu peux m'expliquer ?

Fenrir ne voyait pas pourquoi le fait d'être dans une Meute restreignait la liberté. Membre d'une grande famille, qui pouvait facilement s'apparenter à une Meute, il n'avait jamais été contraint de faire quelque chose contre sa volonté et était parfaitement libre d'aller où il voulait et de rencontrer qui il voulait. Bon, d'accord il avait constament un petit frère ou un cousin dans les pattes, mais plus drôle que gênant...

Ne pas faire partie d'une Meute ? Jamais ? Mais la famille, c'est ce qu'il y a de plus important, et la famille, c'est la Meute... Je ne comprends vraiment pas ! ... Plus je sais de choses, plus je me rends compte que je ne sais rien.

Fenrir avait vraiment du mal à se faire à l'idée que certains loups grandissaient sans une présence familliale de tous les instants. Bon, d'accord, ça pouvait être super fatiguant à la longue de ne pas pouvoir faire un pas sans qu'une boule de poils surexcitée vous saute dessus, et à ce moment là Fenrir jurait haut et fort en se demandant comment il avait pu atterir dans cette famille de fous. Mais... C'était aussi très réconfortant. Cette présence qui lui avait si souvent cassé les pieds lui manquait à présent... Et il n'imaginait pas une vie autre que celle qu'il avait vécue, une vie où rester seul dans le silence était classée dans le registre de l'impossible. Il n'avait rpatiquement jamais eu de moments à lui, de moments qu'il ne partageait avec personne. Alors, cete vie de solitaire.. cette jeunesse solitaire.. c'était vriament difficilement envisageable pour lui.

- Je ne comprends vraiment pas comment tu fais. Chez moi, on ne peut pas faire un pas sans qu'une boule de poils surexcitée vous saute dessus en hurlant, et le silence est quelque chose à ranger dans la catégorie des mots impossibles, tout comme la solitude.

Puis le loup gris-argent remarqua quelque chose. Il sourit.

- Tu as froid ?

Pour lui, c'était quelque chose de vraiment positif, donc rien d'étonnant à ce qu'il se motnre souriant et satisfait. Mais d'un point de vue normal, on pouvait vriament le prendre pour un demeuré ^^'

Peut-être, oui.. peut-être est-ce que je comprendrais mieux si j'avais grandi seul.. mais bon, ce n'est justement pas le cas. Je suis ce que je suis parce que j'ai grandi comme j'ai grandi. On ne peut de toute façon pas changer le passé, ni influer sur ce qui est antérieur à notre temps. Et je ne le veux pas, je suis bien comme cela.. Alors, quelle importance, finalement ?

Pour Fenrir, l'identité de ses interlocuteurs importait peu. Seul comptait leur caractère. Après, le reste, on s'en fiche un peu non ? On n'a pas à être jugé pour ce que nos proches, nos parents, nos ancêtres ou notre descendance ont fait chacun est libre de ses choix, de ses actes, et n'est responsable que de ce qu'il fait. Savoir son origine, son grade, sa Meute, ses amis ? Oui, c'est utile pour mieux connaître la personne, mais on n'a pas besoin de ça pour l'apprécier. Il ne faut jamais juger quelqu'un sur ses fréquentations, après tout, Judas avait des amis irréprochables.

- Ah bon ? Et alors, comment est-ce que vous trouvez ça ? demanda le mâle, curieux.

Pour lui, ne pas connaître le froid et aussi bizarre que d'être solitaire. Fenrir était très intressé par les impressions de la louve. Après tout, elle découvrait le milieu naturel du loup gris-argent, et un avis extérieur, c'est toujours bien, non ? Toutefois sa question pouvait vraiment paraître bête. Après tout, le froid c'est le froid, non ? Fenrir voulait savoir à quel point elle trouvait cette sensation agréable,s ans penser une seule seconde qu'elle pouvait, au contraire, ne pas vraiment l'apprécier.