Le loup noir ne risquait pas d'apercevoir quelque chose. En effet, le loup dont il avait senti l'odeur était précisément là où l'ancien perchoir de l'assassin le dérobait à sa vue. C'est à dire juste à côté, mais totalement invisible du côté du loup noir, car au contraire de ce dernier, il se tenait dans l'ombre, à demi caché par la pierre grise. Totalement immobile, sa respiration était si discrète qu'elle en devenait inaudible. Oromis se reposait depuis quelques temps déjà derrière ce repli de terrain. La configuration même des lieux l'avait empêché de sentir l'odeur du loup noir lorsque le vent venait vers lui. Et à présent qu'il avait changé de sens, c'était l'odeur d'Oromis qui parvenait à la truffe du loup noir en question, sans que l'intéressé aie un quelconque moyen de le savoir.
On aurait pu le croire mort sans l'infime tressaillement de ses oreilles et de sa truffe, à l'affût de n'importe quel danger. Même s'il s'était endormi épuisé - nan mais, allez-y, vous, courir pendant plusieurs kilomètres sur du sable dans lequel vous vous enfoncez et sur lequel votre proie vole comme un oiseau - il restait prêt. A tout. Ses muscles puissants, bien que détendus en endoloris, étaient nerveux et prêts à réagir à la moindre contrariété, avant même que l'esprit du loup ne puisse l'analyser.

Les yeux dorés du mâle blanc-crème s'ouvrirent lorsque la mer lui lécha le bout de la queue. Il tressaillit puis, sans se presser, s'étira longuement, et se leva. C'est à cet instant qu'il remarqua la présence d'un loup noir à quelques mètres à peine de lui. Etant donné qu'il était encore à moitié endormi et franchement surpris par la présence de cet individu, les babines du mâle se relevèrent. Ses crocs ivoire ses découvrirent, son échine se hérissa et, d'une manière générale, il était prêt pour défendre chèrement sa vie. Sa garde était quasiment parfaite.
Puis, avant que l'autre loup n'ai le temps de réagir, il "rangea son arsenal" et s'assit tranquillement. Ah, ces foutus instincts, ils sont vraiment lourds, parfois.

- Excusez-moi, dit-il d'une voix froide mais polie. Ce sont ces fichus instincts, mais que ferions-nous sans eux, n'est-ce pas ?