De violents vents ébouriffèrent mon pelage blanc comme neige au soleil. Couchée au pied d'un des rares arbres de Sibeska, voilà que ça faisait bien deux heures que j'étais là, parfaitement immobile comme une statue de marbre. Seuls mes yeux, brillant comme deux pierres précieuses témoignaient que j'étais belle et bien vivante. Je regardais les loups passer, certains me lançaient des regards pleins de sous-entendus, d'autres m'ignoraient complètement. Oui, j'étais en terres ennemies. J'avais décidé d'explorer Wolf Angel, même s'il fallait que je viole les territoires des autres meutes. Un solitaire s'approcha de moi, à quelques mètres seulement il s'arrêta et plaqua ses oreilles contre son crâne. Je laissai échapper un long soupir qui, sorti de mon être ne devint qu'un souffle d'air glacé. Alors voilà à quoi se résumait la vie alors : se battre, tuer, tuer et encore se battre. Étonnement face à la réaction de ce loup hostile je ne bougeai pas d'un poil, mes yeux saphirs fixant la forme brune du loup devant moi. Il s'attendait à quoi ? A une attaque de ma part ? Il serait bien déçu dans ce cas, car je ne tenais pas à me mettre tous les solitaires à dos. A mon avis les Devil devaient concentrer toute leur énergie sur ces foutus Angel qui refusaient de crever une bonne fois pour toute. Oui, j'étais méchante et manipulatrice avec les autres. Me levant doucement je me mis à marcher d'un pas souple et élégant semblable à celui de Zéphyra. Passant près du loup, celui-ci dévoila ses crocs et me lança un coup de crocs au niveau de la cuisse. Je fis volte-face, un regard foudroyant d'abord, puis je me dressai sur mes postérieurs avant d'effectuer un plongeon et décochai un magnifique uppercut droit sur la bajoue du loup. Il en jappa de surprise. Me retournant je continuai mon chemin en me rendant compte que ce gros lourd me suivait encore. Cette fois, je me retournai, crocs dévoilés. Sans réfléchir plus d'une seconde je lui sautai à la gorge et enfonçai mes crocs dans sa jugulaire, une odeur de souffre s'échappant de ma gueule. Relâchant la prise il tomba sur le sol et gratta le sol de ses antérieurs, au supplice, il fut pris de convulsions et mourut, ses yeux recouverts d'un voile blanc. Je regrettais un peu, mais il m'avait bien cherchée et malgré tout j'étais une Veuve Noire et c'était mon boulot de tuer, des Angel normalement. Continuant ma route je trouvais un point d'eau où je m'arrêtai pour me faire un brin de toilette, observant mon image, je ressemblais tellement à ma grand-mère...

J'entendis soudain des cris affolés. Je fis volte-face et découvris Reagan au dessus de cet abruti qui essayait de m'attaquer. A mon soulagement il le relâcha. Non, je n'aurais pas souhaité qu'il le tue, l'effrayer suffisait. Un sourire étira mes babines ébènes et je m'assis face à lui, droite et noble. Il avait changé, ce n'était plus le louveteau que je connaissais. C'était désormais mon chef. Je m'inclinai avec respect comme je devais le faire à un Dominant. Un sentiment bizarre m'envahit, et j'avais plus l'impression d'être en face d'un grand loup, un loup qui possédait beaucoup de pouvoir et qui dirigeait la plus grande meute de Wolf Angel plutôt que d'être en face de mon frère aîné (aîné ?). Comment l'expliquer ? Je restais figée, incapable de prononcer un mot alors que je voulais lui dire merci de m'avoir sauvée, à quel point j'étais fière de lui. Lui dire que, même si nous n'avions jamais été très proches, j'étais prête à mourir pour lui. Peut-être qu'il le savait déjà, peut-être qu'il s'en fichait. De jour en jour j'avais l'impression d'être de plus en plus seule, une sensation de solitude permanente. Mes proches avaient chacun leur propre vie, peut-être même qu'ils allaient fonder leur propre famille, pas forcément maintenant.. Et j'allais disparaître de leurs yeux comme un souvenir. Ils penseront à moi quand ils s'ennuieront en se disant "Tiens, c'était ma soeur." Mais, c'était comme ça. Impossible de lutter. Fixant toujours Reagan de mes deux yeux saphirs, un vent léger vint fouetter ma fourrure blanche et soyeuse. D'une voix douce, emportée par le vent, je dis soudainement :


-C'est rare de te voir traîner ici. Tu as réussi à avoir une minute à toi ?

Je tournai mon visage finement dessiné vers le sol, incapable de le regarder en face, incapable de regarder ce loup, mon frère qui était désormais mon dominant.