Face aux éclats de la louve, Fenrir recula légèrement en affichant un air contrit, qui avait le mérite d'être presque aussi comique - sur un loup de sa taille ça faisait aussi incongru qu'un ours se mettant à danser - que l'air d'incompréhension qu'il avait affiché plus tôt. Presque. On pouvait même avoir l'impression qu'il le faisait exprès. Ce n'était pas totalement faux, mais avoir des expressions justement expressives - sans mauvais jeux de mots - était typique de Fenrir. La discrétion, il ne connaissait pas, pas plus que la subtilité. Il se comportait un peu comme un enfant.

" J'suis bien d'accord avec toi, " approuva le mâle.

Il se mit à agiter la queue, de droite à gauche et inversement, une drôle du lueur dans le regard. Tous ceux qui connaissent le mâle gris-argent auraient aussitôt compris qu'il était en train de mijoter un mauvais coup, ou tout du moins que cette lueur dans ses yeux verts était synonyme d'ennuis, et même de catastrophes. Fenrir approcha rapidement son museau de celui de la louve - entretemps, il s'était redressé et ne l'écrasait plus - et, avant qu'elle ne puisse réagir, lui offrit une vigoureuse léchouille sur la truffe. Bien baveuse, la léchouille. C'était un moyen comme un autre de réconforter Obsession, non ? Au moins de lui faire oublier ses problèmes. Parce qu'un inconnu qui vous bouscule, vous écrabouille, et qui vous fait une léchouille comme si vous étiez les meilleurs amis du monde, ça peut surprendre. Et le seul commentaire que Fenrir daigna donner à Obsession fut :

" C'est toi le chat ! "

Et le mâle détala, la queue et la tête bien haute dans un geste de défi insolent, un grand sourire, presque démoniaque, colé aux babines. Il s'arrêta environ à dix mètres de distance de la louve, le temps qu'elle se remette du choc. Levant la tête vers le ciel, il lâcha quelques hurlements brefs, tels des appels au jeu. Bah oui, il est aussi come ça Fenrir, totalement imprévisible - sauf lorsqu'il s'agit de jouer. Il adore jouer. Et il pense que le jeu, et aussi le rire, sont les remèdes à toutes les difficultés que l'on peut rencontrer. Quand on vous disait que c'est un vrai gamin. Le pire c'est qu'il le sait parfaitement.

Effectivement, un "arrête" n'aurait jamais suffit à stopper l'élan de Fenrir. Néanmoins, il comprenait très bien la notion de "pouce", et "pause", c'était à peu près la même chose, non ? Aussi, couché sur le dos après qu'Obsession lui aie sauté dessus, Fenrir arrêta de bouger. Enfin, à peu près. Sa queue battait toujours vigoureusement, nettoyant la neige derrière lui, et de sa gueule entreouverte s'échappait un souffle chaud. Ses yeux vert sapin, selon ses propres termes, brillaient de mille feux.
Tous ses muscles étaient tendus en l'attente de la fin des deux minutes en question : bien sûr, le mâle n'avait pas l'intention d'attendre un demi-seconde plus avant de recommencer ses cabrioles.

Chez la plupart des loups, se retrouver sur le dos, le ventre à l'air, était très désagréable car c'était synonyme de vulnérabilité. Mais Fenrir ne semblait jamais avoir appris cette notion élémentaire et était parfaitement à l'aise. Et il décida, pour passer le temps, de poursuivre un peu la conversation. Bon, c'était dommage, il ne pouvait pas sautiller en même temps, mais il s'en accomoderait.

" Alors, tu as quel grade dans la Meute ? Tu es nouvelle, non ? Tu viens d'où ? Pourquoi t'as décidé d'entrer dans la Meute des Celestials ? Des écureuils et des souris, lequel tu trouves le plus mignon ? Est-ce que tu aimes les pommes de pin grillées ? Est-ce que tu crois aux extra-terrestres ? "

Comme à son habitude, Fenrir enchaînait les questions, qui avaient de moins en moins de rapport entre elles et étaient de plus en plus farfelues, sans laisser le temps à son interlocuteur de répondre. C'ets un peu comme si'l voulait savoir tout, tout de suite.