La nuit était calme et obscure, sans lune et sans étoiles. Des volutes de brume voguées sur le ventre humide et pétrifié des marais. L’atmosphère ne vibrait pas d’un souffle d’air, et le bruissement discret des remous de l’eau que Rayne provoquait lorsqu’elle y mouvait ses longues jambes en paraissait amplifié. L’odeur fétide du marécage lui tenait les narines pincées et la gueule faiblement entrouverte, exhalant un nuage de vapeur qui expirait dans l’air. Elle traçait sa route nébuleuse entre les regains d’herbe épars, se retrouvant bientôt à patauger jusqu’au poitrail dans une tourbe fangeuse et gâtée. De sordides bruits de succion semblables à la bouche avide d’une sangsue à qui on soustrait son calice dégorgeaient des bas-fonds à chaque fois que la louve extirpait ses pattes de la bourbe. A mi-chemin de la rive opposée, un mouvement furtif attira son attention portée jusqu’à maintenant sur la meilleure façon de ne pas s’embourber, mais l’ombre avait déjà disparue lorsqu’elle y posa les yeux. Rayne ne s’en préoccupa pas plus que ça... seulement, une étrange agitation ébranla soudain la surface de l’eau et les quelques roseaux qui bornaient la berge. Cela dura à peine quelques secondes, avec suffisamment d’effervescence cependant pour que les rares oiseaux traînant à l’orée des branches étiques et dépouillées s’envolent d’un brusque coup d’ailes. Un silence de mort s’ensuivit. La louve s’était lentement retranchée derrière la ramure dénaturée d’un arbre torve. Son regard errait entre le maillage étriqué des branchages, suspicieux. Elle demeura figée, mais le froid transperçant des eaux stagnantes ne tarda pas à engourdir ses muscles. Rayne s’ébroua, faisant osciller les vagues argentées de sa fourrure, puis elle se glissa hors de sa cache de fortune. On n’y voyait pas à deux mètres dans la tourbière des marécages, et la femelle fut soulagée de retrouver la terre meuble sous ses coussinets gelés. Les oreilles rabattues contre son crâne, elle avança furtivement au coeur du brouillard qui se révéla encore plus épais que sur l’eau opaque. L’atmosphère semblait figée, paralysée dans un mutisme végétal et venteux. La louve ne se sentait pas spécialement oppressée, mais pas particulièrement rassurée non plus. Qui sait ce qui pouvait lui tomber dessus au moindre changement de direction, au moindre pas qui la perdait un peu plus dans ce dédale brumeux et pas aussi désertique que le silence des lieux le laissait entendre.