S’il n’y avait pas eu autant de douleur, je me serais sûrement écroulée de sommeil. Mais a chaque fois que je fermais mes paupières, les brûlures remontaient et je me réveillais en sursaut, couverte de sueur froide. Quel genre de loup aurait pu supporter de telles morsures sans perdre la raison ? J’en étais presque réduite à souhaiter m’évanouir, pour ne plus avoir à combattre les douleurs. La tête tranquillement posée sur mes pattes, je m’appliquai a respirer le plus lentement et le plus profondément possible. Mes muscles se détendirent progressivement et, pour combattre mon envie de sombrer dans les bras de Morphée, je me mis à étudier les reflets de la Lune d’argent dans l’eau claire. Bientôt les traces de sang seraient lavées et plus personne ne pourra dire : tu as été te soigner ici. Tout aurait pu être calme, le monde dormait à cette heure tardive. De temps a autre, on pouvait entendre le hululement d’une chouette ou bien le chuchotis d’une course de souris. Et au milieu de ce silence, je tentais de récupérer mes forces. Je pourrais aller voir les guérisseurs demain, quand mes blessures se seront un peu fermées. Et puis, même si on ne pouvait rien faire pour que je puisse retrouver mon apparence d’autrefois, au moins quelques plantes pour estomper la douleur. Histoire que je ne finisse pas folle. Je passais ma langue sur mes longs crocs blancs et frissonnais de bien être : l’eau froide avait des effets apaisants sur ma personne. Rien ne valait l’eau pure de la cascade pour remettre un Angel sur pattes. Lentement, je levai les yeux vers le sommet de la cascade. Le vent soufflait sur cette pointe rocheuse, entraînant avec lui l’écume blanche. J’essayai de m’imaginer l’ancienne dominante Angel, celle des temps lointains. J’avais entendu parler d’elle, de sa fille… De toute la lignée de dominant d’ailleurs. Mon père m’avait laissé entendre qu’elle avait été inoubliable.

Mes oreilles vibrèrent. Je sortis brutalement de mes pensées et me contractai légèrement, à l’affût. Aussitôt, mes plaies recommencèrent à saigner. J’étouffai un gémissement et relevai la tête, avant de regarder autour de moi. Alors je l’aperçus. Grande silhouette grise, qui me fixait doucement. Pas d’agressivité, peut-être une pointe de curiosité même. En temps normal, j’aurais sûrement sourit au loup et je l’aurais invité a me rejoindre, mais a ce moment la, ma seule réaction fut de retourner légèrement mes oreilles sur mon crâne et de lancer un regard un tantinet froid a l’inconnu. Il descendit de son rocher avec une grâce déconcertante, presque féline. Haussant un sourcil devant un geste certes anodin, mais parfaitement exécuté, il se rapprocha de moi. Son attitude n’était pas menaçante et je relevai mes oreilles. Un soupir s’échappa de mes babines et il s’arrêta, proche de moi, les pattes dans l’eau. A la façon dont il me parla, je devinai qu’il ignorait qui j’étais. Cela me fit sourire, il me prenait pour une louve… Normale. Parce que, couchée, on ne pouvait voir que je l’égalais presque en taille. Un rire cristallin s’échappa de ma gorge et fut vite stoppé par un hoquet de douleur. Je serrai les crocs, lâchai un grondement sourd et détournai mon regard azure du loup.

« Oui, je vous permet de dire que je suis dans un sale état. Seul un idiot pourrait prétendre le contraire… Néanmoins, je ne vois pas ce que vous pourriez faire pour moi. Vous pouvez toujours m’assommer et enlever la douleur. Ce sera sûrement le remède le plus efficace. »

Une expression ironique s’installa sur mon visage et je haussai légèrement les épaules, me moquant de moi-même. Et puis, question de politesse sûrement, je décidai de m’asseoir. Je n’aimais pas vraiment parler couchée à un loup debout, le voir m’observer de haut me titillait toujours un peu. Même s’il ne devait y avoir aucun sentiment de supériorité, je n’aimais pas. D’un geste habile, je me relevai pour m’asseoir. Même blessée, j’arrivais a conserver une certaine assurance dans mes mouvements. Et puis aussi ce sentiment de fierté qui s’émanait de moi, la fierté d’une princesse. Assise, on pouvait voir un peu mieux que je dépassais de taille la moyenne des louves.

« Mais c’est fort aimable a vous de me proposer une aide. Dans de meilleures conditions, peut être aurais-je acceptée avec joie. Mais la, je ne vois rien que vous puissiez faire. »