Son histoire passée est plus ou moins connue. tout du moins le fut elle, à une époque. Mais ce que les loups ignorent, c'est que l'histoire ne s'arrête pas là. La mort a proposé à la louve, en raison de tout ce qu'elle avait enduré au cours de sa vie, de l'incarner dans un esprit, afin qu'elle demeure parmi les vivants. Ainsi Bloody Dream a-t-elle désormais un nouveau corps, noir comme le charbon : c'est l'image de son âme. Seuls ses yeux, si troublants, sont demeurés les mêmes. Elle erre dans le cimetière, presque irréelle, ombre fantomatique qui veille sur le repos des morts. Parfois, lorsqu'elle rencontre un loup qui lui plaît, ou en qui elle ressent une grande douleur, elle le choisit. Elle quitte alors le cimetière et le suit comme son ombre, le surveille. Et lorsque sa mort arrive, elle est là afin de l'aider à partir en paix. Elle portera en elle toute la douleur qui l'a fait vivre, afin qu'il puisse l'oublier et alléger son âme : elle se souviendra pour eux... On peut parfois la voir en-dehors des cimetières, sur les champs de bataille. Elle marche avec calme au milieu des loups en furie, au milieu du sang et de la hargne, baignée dans une vague de douleur. Immatérielle, elle ne peut toucher les loups qui se battent et se glisse entre eux sans pouvoir intervenir. Ceux qui tombent au combat croisent parfois son regard étrange et effrayant : mais à la frontière de la mort, plus que les vivants, ils comprennent qu'ils n'ont pas avoir peur. Il n'est pas rare qu'ils oublient alors la peine et la douleur et qu'ils esquissent un dernier sourire avant de pousser leur dernier soupir. Telle est désormais la mission de Bloody Dream, l'Earthlander, la Passeuse. Gardienne des Morts, elle veille sur leur mémoire et leur souvenir. Elle n'a peur que d'une chose : la chaleur des êtres vivants. Elle évite ce qui peut lui faire sentir la vie : or elle ne ressent la vie que dans la chaleur qu'elle dégage et qui est absente du royaume de la mort. Elle évite le volcan, l'air qui entoure de trop près le corps des êtres qui respirent... Si la chaleur venait à envahir tout son être un jour, elle se consumerait sans flammes et ce feu invisible se logerait dans son coeur. Et, ne pouvant concrètement brûler, elle devrait subir sa douleur l'éternité durant. Car les morts ne ressentent plus de chaleur et si les vivants approchent de trop près les morts, une partie de leur âme est attirée vers la vie et y reste prisonnière. Mais comme ils ne peuvent plus vivre, cette vie à laquelle ils ne savent plus résister leur cause une douleur infernal : le plus vif et le plus cuisant des regrets qu'il soit possible de ressentir ; elle leur insuffle les sentiments et les désirs qu'il leur était aisé de refouler, sans qu'ils puissent entièrement les ressentir. La patte tendue vers ce qu'ils ont perdu, ils ne parviennent à peine à l'effleurer et cherchent sans cesse à aller plus loin...